top of page

Le massage pour bien vivre ensemble ?


Massage Ayurvédique à quatre mains
Massage à quatre mains - Photographe : Nicolas Bernard

Je souhaiterais faire suite à l’article du mois dernier de Lucille, engagé sur l’idée que les pratiques liées au bien-être du corps et de l’esprit sont issues d’une tradition collective et non individualiste, contrairement à ce que nous pourrions croire en surfant sur les ondes d’instagram et de youtube qui ont tendance à faire l’éloge d’une taille de guêpe par le yoga, et d’une lutte anti-rides et anti-cellulite féroce par le massage.

Je vais ici me focaliser sur le massage. Ce dernier, le plus souvent, met en jeu l’interaction entre deux personnes : la personne massée et celle qui masse. Et le personnage principal de cette scène est celle qui est massée, qui est invitée à se relaxer, à se ressourcer, à se concentrer sur ses propres sensations. Donc tout porte à croire que le massage est une pratique individuelle et auto-centrée. Je voudrais ici apporter une modeste ébauche d’une poignée d’idées qui tendent à montrer en quoi non seulement le massage a une portée collective, mais qu’en plus il pourrait faire du bien à la société. Rêvons un peu !

Ces idées sont à prendre avec distance : il s’agit d’un angle de vue personnel, dans le sens où la façon dont est décrit le massage ici est ma façon de le voir, de le pratiquer, et de lui donner du sens.


Idée n°1 : Nous sommes plus aptes à gérer nos émotions lorsque nous sommes détendu.e.s


Cette première idée coule de source. D’abord, le massage permet une détente des muscles et il est utile contre les raideurs articulaires. Il permet la libération de dopamine, d’ocytocine et d’endorphine, hormones du plaisir et du soulagement, grâce aux stimuli sensoriels envoyés au cerveau. Nous pouvons retrouver ces effets dans la pratique de tango Argentin, de danse contact ou toute autre activité incluant le touché consenti. Aussi, il peut apaiser des douleurs, au moins momentanément. Il facilite la circulation sanguine et la digestion. C’est pourquoi je peux voir avec bonheur en fin de massage des personnes avec un visage complètement différent de lorsqu’elles sont arrivées : les traits et les épaules relachés, le teint vivifié et une sérénité manifeste. Et l’effet dure ensuite, alors quoi de mieux que d’aller marcher au bord du canal du Midi de Toulouse, sous emprise d’endorphine et de dopamine, sans se sentir atteint.e.s par la pollution sonore ? Ou d’aller faire ses courses, armé.e.s de patience et de tolérance, et imperturbables face au constat que les personnes ayant choisies la file « CB seulement » ont gagné du cash ce mois-ci…


Plus sérieusement, le stress est un cercle vicieux : plus nous sommes tendu.e.s, plus nous nous agaçons, plus nous nous agaçons, moins nous somme aptes au dialogue et à la patience, moins nous sommes aptes à la communication, plus nous allons au conflit et après un conflit, nous sommes encore plus neurveu.x.ses. Heureusement, il y a une fin à ce cercle infernal : une journée détente, des vacances, un apéro, une séance de yoga, du sport ou un massage, par exemple.

Le système nerveux apaisé et les maux corporels atténués, nous sommes plus disponibles à gérer les éléments extérieurs, à gérer nos émotions et à nous concentrer. Et cela peut avoir des répercussions sur nos relations professionnelles, sur nos liens amicaux, et sur l’ensemble de nos interactions. Alors, mettons cela à l’échelle sociétale, et rêvons un peu !



Danse contact improvisation


Idée n° 2 : Le massage favorise l’empathie et le lien social


Dans l’idée précédente, nous avons mis de côté le masseur. Ici, j’aimerais parler de la portée qu’un massage peut avoir autant pour la personne massée que pour la personne qui masse. Au cours d’un massage, la personne qui masse va se mettre à l’écoute de l’autre. Ce sera alors un dialogue non verbal. Evidemment, la verbalisation peut à tout moment intervenir pour exprimer un besoin, un ressenti, un inconfort, mais il y a aussi tous les messages transmis qui sont de l’ordre du corporel. En Massage Sensitif Méthode Camilli®, il est fréquent que les formateurs parlent « d’écoute corporelle » plutôt que de massage, afin de dépasser l’idée d’un protocole appliqué sur la personne massée, sans singularisation de celle-ci. Cette méthode est par ailleurs employée dans le cadre de psycho-somatothérapie, mais nous parlerons ici de massage bien-être et non thérapeutique.


Au cours d’un massage, que ce soit en Ayurvéda ou en Massage Sensitif®, le masseur ou la masseuse va se mettre à l’écoute de la respiration de l’autre et selon le rythme, il va adapter son tempo et ses gestes : favoriser l’amplification de la respiration, calmer ou dynamiser… Et pour cela, il ou elle pourra synchroniser sa respiration, c’est-à-dire respirer au même rythme que la personne massée. Et ce lien particulier est primordial : la personne massée se sait écoutée. S’ouvre alors un dialogue non verbal. Le masseur ou la masseuse peut proposer un étirement, un certain mouvement et la personne massée peut accepter ou proposer autre chose, sans même se rendre compte que ce sont ses mouvements, ses élans corporels qui guident et non le corps du masseur ou de la masseuse qui « la fait bouger ». Il y a toutes ces réactions du corps aussi : des mimiques de détente sur le visage, des frissons, des raideurs sur certaines parties du corps, des zones de chatouilles. Si la personne massée sent que le masseur ou la masseuse prend en compte ces différents éléments et l’écoute, elle pourra alors entrer dans un rapport de confiance et aller plus loin dans ce dialogue. Mais surtout, le fait d’être écouté.e et pris.e en compte favorisera l’image positive de soi-même et de l’estime qu’on se porte. Françoise Debrie, infirmière formée au massage toucher rapporte à propos de sa pratique des massages sur ses patient.e.s : « Il rajoute au bien-être un sentiment de reconnaissance. Les marques d’intérêt, l’attention particulière portée rendent digne celui ou celle qui les reçoit, digne de bénéficier de soins agréables, lui font sentir qu’il/elle compte, qu’il/elle a encore une place parmi les humains. C’est sortir de la non-vie, remettre en circulation des énergies et des capacités restantes renaître à des possibles si tenus soient-ils ».[1]




Massage Ayurvédique et écoute corprorelle
Ecoute corporelle et Massage - photographe : Nicolas Bernard

Loin des contraintes voire des pressions sociétales liées à la façon dont nous nous présentons verbalement (notre métier, nos motivations, qui sommes-nous, d’où venons-nous), cet espace de massage peut permettre d’être pleinement soi-même à l’instant T, sans crainte du jugement.

A l’heure où les clivages et la banalisation des discours de haine sont à l’honneur, il est pertinent de s’intéresser à comment gagner en empathie et en compréhension d’autrui. Je cite à ce propos la féministe Robin Morgan : « la haine généralise, l’amour singularise ». En effet, mettre tout un groupe de personnes dans un même panier, c’est généraliser, et ça engendre haine, racisme, sexisme et autres dérives sociétales dangereuses. Alors que considérer quelqu’un - à commencer par soi-même- dans son individualité, permet d’éviter ce genre de vilaines dérives. Et pour cela, le mieux c’est de rencontrer les personnes, au lieu de les voir de loin. Gloria Steinem, écrivaine et « Organizer Community »[2], raconte dans son ouvrage Sur la route, que lorsqu’elle était journaliste au début de sa carrière, elle était à l’aise dans l’écrit mais tétanisée par l’idée de prendre la parole en public à l’occasion de cercles de paroles. Toutefois, son militantisme l’y a conduit. Elle déclare sur cette expérience qu’ « il est tout simplement impossible d’éprouver de l’empathie pour les autres sans se connecter par le biais de nos cinq sens. C’est le seul moyen de produire de l’ocytocine ». L’ocytocine, dont nous avons parlées dans l’idée n°1, est une hormone produite par l’hypothalamus qui favorise l’attachement entre deux personnes (parents/enfants, amoureu.x.ses), elle est produite lors de toutes relations affectueuses. Ainsi, elle est souvent nommée lorsque nous avons l’occasion de tenir un bébé dans les bras, et que se créé cette forme d’empathie et de douceur à l’égard de celui-ci, ainsi que l’envie de le protéger. Par le contact direct, par le touché, cette hormone est produite. Et bien que le masseur ou la masseuse ne s’engage pas dans une relation plus intime et suivie que cela avec la personne massée, il en ressort que les deux ont fait expérience de cette production d’ocytocine, appelée aussi « l’hormone de l’amour » et que leur regard sur autrui en pourra être affecté que positivement. Ainsi, dans le cadre d’une séance de massage, il y a bien une pratique liée au bien-être impliquant un rapport duel (et non individuel) entre la personne massée et le masseur ou la masseuse. Aussi, ce contact physique sans contraintes et sans connotation sexuelle peut favoriser l’empathie envers autrui et révéler ainsi des bienfaits d’ordre collectifs et sociétaux, quelle que soit l’échelle.

La tradition du massage est aussi un rituel collectif et un espace de sociabilisation. Il se retrouve dans les pays du Maghreb avec les sorties au hammam notamment, lieu important de socialisation et d’amitié, notamment pour les femmes. Dans des pays dont le massage est ancré dans la médecine traditionnelle (Inde, Thaïlande, par exemple), les personnes liées d’amitié et de famille vont se toucher avec aisance, s’offrir des petits massages en discutant, de façon banalisée, favorisant alors des rapports empathiques et affectueux.


Je peux aussi constater, plus proche de moi d’un point de vue géographique, que de nombreuses personnes viennent aux ateliers de formations de Massage Sensitif® non pas dans un but professionnel mais pour passer un bon moment avec les autres participants, pour masser, pour être massé, pour apprendre. Ils auraient pu tout aussi bien se payer une séance de massage individuelle. Pourtant, ils ont essayé des ateliers collectifs et choisissent d’y revenir régulièrement. Les groupes de formation me semblent toujours particulièrement soudés à l’issue de la journée. Lors des débriefes, les participants expliquent régulièrement qu’ils achèvent la journée avec la sensation d’être écouté.e et pris.e en compte comme individu singulier au sein du groupe.


Je ne suis évidemment pas en train d’avancer l’idée selon laquelle le massage est la solution pour lutter contre la haine et les guerres dans le monde. Seulement, le contact, la rencontre de l’autre et l’empathie, le tout englobé d’ocytocine, peut ouvrir la voie vers une forme d’amour, celle pour l’humanité. Sortons violons, trompettes, cornemuses et rêvons un peu !


Idée n°3 : Le massage pourrait diminuer la violence chez les enfants et les adolescents


De nombreuses recherches ont été faites sur les effets du massage dans le cadre d’accompagnement thérapeutique pour les enfants et dans le cadre de massage bien-être sur les enfants souffrant de problèmes comportementaux. Aussi, des études ont été effectuées en milieu scolaire afin d’étudier les effets du massage sur le comportement des enfants et adolescents. Alors que Jean-Michel Blanquer ce mois de février se prononce contre un programme expérimental dans des établissements scolaires de MPC (Méditation de Pleine Conscience), dénoncé entre autre par des syndicats comme comportant un risque de dérive sectaire, l’idée d’aborder la jeunesse dans cet article m’a titillée. Peut-être parce que je suis une ancienne enseignante, aussi.


Avant de revenir au massage, faisons un détour sur cette polémique autour de la MPC en milieu scolaire. D’abord, cette méditation est faite en «pleine conscience», ce qui signifie que le but est d’attirer l’attention sur l’instant présent, en restant ouvert à ce qui nous entoure, sans y impliquer nullement de dimension religieuse. Il ne s’agit pas de mettre des enfants dans un état propice à la lobotomisation de leurs cerveaux et à la manipulation de ceux-ci sur fond sonore de mantras. Une tribune signée par des scientifiques et des psychiatres (dont Christophe André, psychiatre connu dans le milieu de la MPC) a défendu ce projet. Notons que Gaël Le Bohec, député LREM a soutenu ce projet, émettant comme argument le fait qu’il est prouvé scientifiquement que cette méthode favorise la concentration, et que la concentration favorise les meilleurs résultats scolaires. Certes. Mais ici la performance à tout prix est encore le critère mis en avant dans une pratique liée au bien-être. La MPC peut permettre aussi un meilleur raisonnement, un meilleur rapport à l’autre, une meilleure gestion du stress et de ses émotions, et donc un meilleur vivre ensemble pour nos futurs co-citoyens et co-citoyennes. Ceci dit, j’arrête ici ma digression et je reviens à nos massages.





Plusieurs enquêtes de terrains ou mémoires abordent l’effet du massage sur des enfants ayant un problème de comportement à l’école. Paul-André Gauthier a recensé plusieurs de ces expérimentations afin de proposer un projet pilote dans une école : le massage avec les enfants ayant des problèmes de comportement.[3] En conclusion, il exprime l’idée que les séances de massage régulières sur les enfants ayant un problème de comportement semblent avoir eu un impact positif : diminution de l’agressivité, diminution du temps dédié à la discipline pour les enseignants, meilleure concentration, intégration plus facile de l’enfant ou de l’adolescent dans le groupe-classe.


Deux points ont retenu mon attention. D’abord, les organismes dénonçant récemment le projet expérimental de la MPC dans les écoles ont relevé le fait que le temps dédié à cette pratique se ferait au détriment du temps dédié aux autres disciplines. Il serait intéressant dans ce cas de mettre les pieds dans une classe et de constater que les temps pour se « recentrer », les rituels de « retour au calme », de préparation à la concentration, sont des temps indispensables en classe et qu’ils existent déjà, précisément au bénéfice des autres disciplines. Et nous relevons que dans la conclusion faite de l’étude citée ci-dessus, il apparaît que les enseignants ont un gain de temps bénéfiques pour les apprentissages, puisque l’atmosphère de la classe est apaisée.

Ensuite, la recherche de Diego et collab. en 2002 a mené une étude sur des adolescents ayant des comportements agressifs. Deux types d’expériences ont alors été menés : pour un échantillon, il s’agissait de recevoir régulièrement des séances de massage, pour l’autre il s’agissait de participer régulièrement à des séances de relaxation. L’impact a été manifeste sur le premier échantillon pour lequel il y a eu une diminution des comportements agressifs. Quant au deuxième échantillon, il n’y a pas eu d’impact significatif et commun à l’ensemble du groupe. Les deux échantillons ont bénéficié d’activité visant la relaxation. Mais le premier, par le massage, a connu en plus un contact physique, une écoute corporelle. Je peux supposer ici qu’un comportement agressif jaillit lorsque la verbalisation de ses maux n’est pas possible, et qu’un dialogue non verbal, corporel peut alors venir l’apaiser.


Que ce soit dans nos relations proches, nos cercles sociaux plus élargis ou dans notre façon d’envisager comment vivre avec autrui dans un groupe ou une société, le massage peut venir proposer un temps d’apaisement. Il peut permettre une meilleure connaissance de soi qui aide à mieux gérer ses émotions et ses interactions. Aussi, il peut favoriser le développement de l’empathie envers les autres et donc favoriser des rapports plus soudés. Le massage peut soulager nos maux à l’instant T, et peut-être qu’il pourrait apaiser certains des maux sociétaux. Sans rêve, il n’y a pas de projet !


A.V.



Massage du pied
Massage intuitif du pied - Photographe : Nicolas Bernard


Sources :

Françoise DEBRIE, Infirmière, Praticienne en Toucher Massage Consultation Douleur, CH BEAUVAIS

Article : Prendre soin par le toucher massage… Autre réponse face à la douleur, face à la souffrance

https://www.shanti-med.fr/la-mpc-meditation-de-pleine-conscience/…

Gloria STEINEM, Ma vie sur la route, Harper Collins Poche


Claude CAMILLI, Massage Sensitif, I-Psychothérapie corporelle et Psychosomatismes, ed Maloine


[1]Françoise DEBRIE, Infirmière, Praticienne en Toucher Massage Consultation Douleur, CH BEAUVAIS Article : Prendre soin par le toucher massage… Autre réponse face à la douleur, face à la souffrance … [2] Elle aidait des communautés de lutte contre les inégalités à s’organiser, à collecter des fonds, à se fédérer. [3]Un projet pilote dans une école: le massage avec les enfants ayant des problèmes de comportement Paul-André Gauthier

81 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page