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Comment les mouvements féministes influencent notre rapport au bien-être ?

Ce nouvel article a pour but d'essayer de comprendre comment les mouvements féministes ont influencé notre rapport au corps, sa réappropriation, la libération de celui-ci et comment ils ont influencé nos pratiques de bien-être.



Qu’il s’agisse du rapport au soin, à la médecine alternative, de l’importance de se

(re)approprier notre sexualité, et notre corps de manière générale, les mouvements

féministes ont eu, et ont encore, une influence directe sur notre rapport à soi, et à

l’importance du bien-être.

Il s’agira tout d’abord de recontextualiser ce qu’on appelle bien-être. Le bien-être dans sa définition est «un état de complet bien-être physique, mental et social” (source OMS). Ce que nous considérons comme les pratiques de bien-être est tout ce qui va nous permettre de tendre vers cet état : le yoga, le massage, les soins énergétiques, les cercles de paroles et de femmes qui amènent une sociabilité bienveillante, les soins sonores mais on peut aussi étendre la définition vers des activités de connexion au corps, à la nature et aux autres. Une définition assez large qui inclut des temps pour soi, des temps de qualité avec les autres, et des temps de guérison. Des temps de pause durant lesquels on s’éloigne d’une valeur performative.


Comment l’idée du féminisme vient donc s’imbriquer avec l’idée évoquée précédemment ?

D’un côté on peut citer d’un côté une revisibilisation de rituels ancestraux, des médecines dites alternatives et un questionnement du rapport hiérarchique du corps médical aux patient.e.s. Et en cela j’émettrai la théorie que la valorisation de la figure de la sorcière par les différentes vagues de féminismes n’est pas sans rapport. Nous développerons plus longuement cette figure, son histoire, son aura actuelle et son influence sur notre rapport au bien-être au cours de cet article.


De l’autre côté une volonté d’abolir la maltraitance que le monde actuel impose à nos corps : jeunisme, contrôle de l’apparence des femmes, contrôle de la sexualité, et corps “capitalisés” . Le retour de figures féminines “puissantes”, la dénonciation des violences médicales (gynécologiques et obstétricales ) les mouvements de body-positive et l’activisme pour une réappropriation de notre sexualité sont autant de revendications issues des mouvements féministes, que d’éléments expliquant et influençant nos pratiques de bien-être.


Dans ses travaux, Michel Maffesoli (sociologue), décrit les époques du 19ème et du 20ème dont nous sommes directement héritier.es, comme les époques de l’apogée du modernisme. Des époques où la valeur du travail est centrale, incluant un rapport au corps utilitaire : le corps n’existe que dans ses fonctions de production et de reproduction. Une époque, et toujours selon Michel Maffesol,i où le masculin prédomine. Il situe aussi à cette époque la création de la dichotomie entre le corps et l’esprit, entre la culture et la nature, ce qui nous éloigne donc dans notre pensée moderne, d’une vision plus holistique du monde.

Les mouvement féministes viennent récemment proposer une alternative à ce système de pensée et de valeur dans lequel la modernité domine, où l’homme domine sur la femme et l’Homme domine la nature.


C’est également à travers les mouvements féministes qu’on introduit la notion de care et qu’on rétablit la figure de la sorcière. Ces deux idées semblent assez centrales dans la mesure où elles présentent des faits quant t à l’idée que le féminisme influence nos pratiques de bien-être, et que le bien-être peut avoir une portée politique et féministe.


Le Care

La notion de “self-care” a été introduite par Audre Lorde, poétesse et militante noire,

féministe et lesbienne. Elle y introduisait l’idée que "Prendre soin de soi ce n’est pas de la complaisance, c’est de la préservation de soi, et c’est un acte de guerre politique."


Comme l’analyse encore l’écrivaine féministe Sadie Trombetta, écrivaine féministe : "Lorsqu'on est victime de discriminations systématiques, qu’on n’a pas les

mêmes droits que tout le monde, que notre corps est un champ de bataille, « prendre soin de soi » devient « un acte courageux »".

Pour illustrer le propos je cite ci-dessous, l'article SURVIE OU PRIVILÈGE ? L’IMPOSSIBLE (SELF)CARE EN CONFINEMENT, par Stella Ammar, publié dans Manifesto XXI :


“Dans les années 60 et 70, ces minorités devaient déjà « commencer par reconnaître qu’elles avaient des besoins, que leurs besoins étaient importants, et que ces besoins méritaient d’être satisfaits, quoi qu’en disent leurs oppresseurs. Prendre soin de soi [self-care] était un moyen de s’éloigner des environnements toxiques, d’admettre la douleur, et de trouver le temps et l’espace nécessaires pour guérir. "


Alors non je ne suis pas en train de proposer le massage ou le yoga comme réponse aux oppressions, ça serait réducteur et mon propos n’est pas celui là. Mais la notion de “self-care”, de “care”, ces moments pour soi, balançant l’ensemble des moments où les corps sont opprimés et dominés, s’accorder la bienveillance qui nous est niée dans la société, n’est peut-être pas suffisant, mais en tout cas ils marquent une réappropriation de notre corps, de notre temps, une passerelle pour une certaine bienveillance envers nous-même et une alternative à un “corps beau et utile”, un corps qu’on ne veut plus dominer et laisser être dominé par des diktats, mais un corps qu’on apprend à habiter et pourquoi pas, si malgré tout, ça nous est possible à aimer et à soigner.


Sorcières

Le deuxième point qu’il me semblait important d’évoquer est la figure de la sorcière. De par la figure politique qu’elle incarne, mais aussi de par sa valorisation et l’influence directe qu’elle peut avoir dans un retour vers les pratiques holistiques, il me semble qu’elle peut illustrer de manière assez parlante l’articulation entre mouvement féministes et penser le bien-être autrement.

elle est à la fois le symbole de l’oppression patriarcale, la victime d’un rationalisme forcené mais aussi une figure de résistance politique et la gardienne de l’idée qu’un “soigner autrement est possible”

D’abord la rencontre avec cette figure peut se faire d’un point de vu historique, et pour en parler, il semble intéressant de s’appuyer sur les travaux de Mona Chollet (journaliste et essayiste célèbre pour ses travaux féministes). Celle-ci dans

Sorcières soutient l’idée que les chasses aux sorcières au moyen-âge sont des crimes misogynes. Cependant je ne développerai pas ici cette idée en détail, mais je vous invite tout de même à lire Sorcières.

L’idée que je développerai ici, elle-même empruntée à Mona Chollet, et que j’espère rétablir avec justesse, est comment cette chasse aux sorcières à influencé par la suite notre rapport au soin et au bien-être. Nombre de femme jugée et assassinée pour sorcellerie étaient guérisseuses (même si les crimes se sont étendus au delà des guérisseuses). Elles maîtrisent les plantes comme remèdes, font office de sages-femmes et détiennent le savoir concernant le contrôle des grossesses et des naissances. Les guérisseuses sont aussi celles qui officient comme médecins auprès du peuple et notamment dans les campagnes.

En parallèle de la chasse aux sorcières qui suggère aux femmes que ces pratiques risquent de les amener au bûcher, la médecine, le soin vont être restructurés : les universités de médecine sont créées , et la pratique du soin et de la médecine doit désormais se limiter à ce cadre. Cadre excluant les femmes, confisquant ainsi à celle-ci l’accès à la médecine dans sa pratique, et masculinisant la profession.

Avec les différentes vagues de féminisme, la sorcière qu'on a tue, la sorcière diabolisée, la sorcière moquée, réapparait comme figure forte. Il suffit de passer du temps sur instagram, de se promener dans une librairie ou de lire la presse pour se rendre compte que la sorcière jouit d’une nouvelle aura. Et si aujourd’hui il ne semble plus si abberant de favoriser les plantes en réponse à nos symptômes, si les doola ont la côte, si les soins holistiques ne sont plus l’affaire de quelques marginaux discrédités,que les cercles de femmes reviennent en force,

ne serait-ce pas car la sorcière ne fait plus peur ? Parce que de “méchante dans les dessins animés”, elle est désormais devenue symbole de "puissance". Et est-ce que ce n’est pas aussi parce que le féminisme vient changer nos valeurs, notre rapport aux autres et soin et au monde?


Le soin, un acte politique ?


Direction maintenant le Guatemala. La suite de l’article présente Lorena Cabnal qui est une défenseuse des droits humains. Elle est Guatémaltèque et issue de la communauté Maya Kekchi et Xinca. Elle introduit l’idée de féminisme communautaire et est également la fondatrice du « Réseau de Guérisseuses Ancestrales du Féminisme Communautaire d’Iximulew - Guatemala ». Ce réseau de 13 femmes réunis guérisseuses, sages-femmes, médecins et herboristes. Le réseau s’organise autour de l’idée que le corps est à la fois le territoire d’oppression patriarcale mais aussi le médium de libération.

Le corps est ce “territoire” où les oppressions patriarcales, racistes et colonialistes

s'insinuent. C’est lui qui vit les effets de ces oppressions : la tristesse, la peur, la culpabilité, la honte. Mais il est aussi le lieu de résistance, une résistance que Lorena Cabnal veut “cosmique” (car il porte la mémoire des ancêtres et les savoirs légués, c’est d’autant plus le cas dans la transmission du soin par les générations de femmes qui ont précédés ses guérisseuses) , et une résistance politique, car sa réappropriation, et le soin de celui-ci sont un moyen de résister et de se libérer de ses oppressions.


Les corps qu’on soigne et qu’on se réapproprie, sont des corps qui s’émancipent, qui résistent et qui se rebellent contre un système qui veut dominer les corps, qui les veut utilitaires.

La connaissance de nos corps, de ce qui lui fait du bien, en matière d’alimentation, de sexualité, d’activité, les massages, les temps qu’on s’accorde, les nouveaux systèmes de relations fondés sur le partage et l’égalité, sont à la fois un acte de bienveillance personnel mais aussi un acte de résistance contre un système qui voudrait nous en déposséder pour le soumettre à des diktats, et à l’idée que certains corps ont plus de valeur que d’autres.


L’abolition et le questionnement de valeurs qui ont été la norme, qui le sont encore, et qui imposent des systèmes de domination vient interroger notre rapport au corps et au bien-être. D’une part s’éloigner de ces valeurs, nous rapproche de l’idée que le corps et l’esprit sont liés. Cette éloignement questionne également la légitimité de la domination de l’homme sur la femme, et sur la nature. Il questionne aussi l’idée de la domination que l’on a sur notre propre corps. Un corps qu’il nous serait bien d’habiter et de considérer, plutôt que de “maîtriser”, affamer, maltraiter, déconsidérer pour atteindre des normes inaccessibles basées sur un jeunisme éternel, une maigreur certaine, des activités sportives et sexuelles performatives, un rendement au travail en décalage complet avec notre nature.

Et si nous devons faire la paix avec ce corps plutôt que de le conformer à des normes performatives, utilitaires et inaténiables, il semble que la réappropriation d’une pensée alternative et féministe ainsi qu’une approche holistique et de soin soit à la fois une urgence, à la fois un acte de bienveillance et un acte de résistance. Alors prendre soin de soi serait un acte éminemment politique. Et on ne peut que l’encourager.


Article par : Lucille Migette

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